Interdépendance
Médecin généraliste pratiquant la médecine chinoise, enseignant d’art martial chinois, je vous propose une chronique médicale mêlant médecine occidentale et orientale.
« Aimez-vous les uns les autres, conseillent inutilement les religions ; supportez-vous, exigent simplement les codes. Aidez-vous deviendra la maxime de l’avenir quand les peuples auront découvert l’interdépendance qui les lie », écrit le médecin et psychologue Gustave Le Bon en 19231.
Tout au long de ma vie, j’ai appris et pratiqué des disciplines qui avaient un point commun, celui de relier. J’ai compris cela quand j’ai étudié la thérapie systémique. Celle-ci s’appuie sur une théorie, la systémie, qui étudie les relations entre les objets, plutôt que les objets eux-mêmes.
Certaines traditions utilisaient déjà ces principes depuis des millénaires. Ainsi, la médecine chinoise est une médecine systémique, elle met en relation les différents organes. Il faut bien comprendre que toute notre société, notre culture sont basées aujourd’hui sur une approche scientifique, qui consiste à découper la connaissance en petits morceaux afin de les étudier plus facilement. En ce qui concerne la médecine, nous en sommes au niveau moléculaire, avec les biothérapies. Et cela fonctionne très bien et donne des résultats merveilleux.
Mais pour appréhender certains problèmes, certaines maladies, cette approche est incomplète, parfois inefficace, voire dangereuse. On sent bien en tant que patient que cette médecine nous déshumanise, nous morcelle, d’où le succès des médecines alternatives, dites « intégratives ».
L’interdépendance n’est qu’un aspect de la systémie que j’ai choisi pour illustrer mon propos. Il s’agit de percevoir que tout est relié, en nous, entre nous, autour de nous. Quand je mange tel aliment, ma peau devient sensible, j’ai les idées moins claires, des douleurs au ventre, moins d’énergie pour bouger. Quand je prends un coup dans le genou, j’ai des sueurs, envie de vomir, la tête qui tourne. Notre corps est un tout, où chaque organe, chaque cellule communique avec les autres, soit par contact, soit à distance par le biais des nerfs, des hormones, des protéines, etc.
Mais nous sommes également reliés aux autres, par la parole, nos actions, notre seule présence. Comme le dit Bateson2, « on ne peut pas ne pas communiquer ». À moins de vivre reclus dans une grotte en haut d’une montagne, votre être est constamment en train de communiquer avec les autres. Votre attitude, votre apparence, vos odeurs, la place que vous occupez. Avant même d’ouvrir la bouche, vous avez donné des informations aux personnes présentes.
Un autre exemple de l’interdépendance peut faire l’objet d’un jeu de gratitude : quand vous commencez un repas, pensez à toutes les personnes et tous les éléments qui ont permis que vous mangiez cette excellente salade de tomates : votre compagnon qui l’a préparée, le maraîcher qui les a fait pousser, le marchand, l’artisan qui a fabriqué le saladier, le soleil, l’eau, la terre, etc. C’est sans fin. Nous sommes tous reliés. Et donc ce que je fais influence la vie des autres. Mais aussi ce qui est à l’extérieur de moi influence mon intérieur (mes activités, mes fréquentations, mon alimentation, mon environnement…).
Quelques conseils pratiques maintenant. Quand vous êtes en conflit avec quelqu’un, prenez du recul et analysez la relation, évitez de chercher la responsabilité de l’un ou de l’autre, mais cherchez plutôt une autre façon de jouer cette relation, soignez le lien. Vous n’avez aucune action sur l’autre, mais vous pouvez jouer sur la relation. Quand vous ressentez un malaise, un inconfort physique, plutôt que de vous concentrer sur la zone en question, mettez en mouvement l’ensemble du corps. Expérimentez comment le fait de marcher peut calmer des douleurs au ventre, ou comment un massage des pieds soulage des maux de tête. Chacun est différent, expérimentez par vous-même, et gardez ce qui marche.
- Gustave Le Bon, Les incertitudes de l’heure présente, Flammarion, 1923.
- Gregory Bateson, anthropologue.
Par Dr CUBITUS