INGRINA, pachyderme en fusion
Ils sont six (voir encadré) – enfin deux pour aujourd’hui – ils sont intermittents, chômeurs ou salariés, dans tous les cas ils ont en commun d’être les artilleurs d’Ingrina, groupe « post quelque chose » dont nous avons parlé dans le numéro précédent (ICI). Nico et Antonin se mettent autour de notre table ronde et rose pour me parler de la bête à deux batteries, trois guitares et une basse…
Vous avez quoi à dire au Trousseux (votre serviteur) qui a osé parler de vous dans la dernière Critique limousine ?
Nico : Je ne sais pas ce que j’ai à dire […] Ce que j’aime bien, surtout dans la deuxième partie, c’est quand tu parles vraiment de ce qu’il y a dedans. Tu te racontes ta propre histoire, autour de ce que tu as entendu, et les mots qui sont là, sont une manière d’illustrer le propos sonore. Je trouve ça cool que cet album vive dans la tête des gens. Qu’il ait une vie, un peu comme nous on se la projette. En créant cet album nous sont venues des images : des paysages, des situations, etc. […] Je trouve ça intéressant [dans cette critique] qu’il y ait tout un vocabulaire, un lexique, un style particulier dans lequel on se retrouve même si on n’utilise pas les mêmes mots. L’histoire que l’on a écrite en anglais dans l’album, n’est pas la même que la tienne, mais elle emprunte aux mêmes endroits ; dans une certaine mélancolie […].
Antonin : […] On fait volontairement une musique un peu onirique, un peu cinématographique. C’est volontairement fait pour plonger dedans. Quand on entend que ça fonctionne, c’est plaisant.
Et vous retrouvez globalement ça sur toutes les critiques de votre album ?
Nico : […] En fait ils se prennent au jeu, on sent bien qu’ils ont envie de se faire plaisir. C’est aussi une occasion pour eux de mettre en valeur leur écriture et pas juste parler froidement d’un album, ça génère une envie de romancer, d’avoir recours à des métaphores, des paraboles. Au point que, parfois, on a lu des critiques incompréhensibles, c’était des couches et des couches de métaphores. Tu finis par perdre le fil. Bien sûr, on a fait un album […] très imagé et souvent leur chronique en remet une couche, c’est assez rigolo […].
Votre album permet de lâcher prise apparemment ?
Nico : Ce serait peut-être un peu prétentieux de dire ça. Si ce n’est pas un « lâcher prise », au moins il génère un imaginaire que chacun peut se construire.
« Post rock », « post métal », « sludge », plein de noms barbares, mais vous, vous vous définissez comment ?
Nico : On laisse les autres nous définir, définir le style. On n’est pas très à l’aise avec les étiquettes dans lesquelles on ne se retrouve pas trop. Après, forcément, on parle de « post hardcore » ou « post métal », même si ça fait chier qu’il y ait le mot « métal » dedans.
« Post » c’est un moyen de dire quoi ? Dans « Post rock » il n’y a plus de « sexe, drogue et rock’n’roll » ? Il manque l’un des trois termes ?
Nico : Il y a tout sauf le rock’n’roll (rire). Le « post », c’est comme en philosophie : à partir du moment où le communisme est mort, on ne savait plus comment nommer les choses, alors on a appelé ça « post modernisme ». C’est tout ce que l’on ne sait plus nommer dans l’ère de l’effondrement. Toute la musique qui vient après le punk, le rock, le hardcore, qui ont été définis dans les années 60, 70, 80, jusqu’en 90 avec le Grunge. […] Ce sont des musiques qui s’« hybrident », et comme on ne sait plus quoi dire, on dit « post ». « harcore » c’est dans le sens où il y a des voix un peu plus criées que dans le punk ou dans le rock. […] On dit « métal » parce qu’il y a des rythmes lents et lourds, même si le métal peut être hyper rapide et technique, ce qui n’est pas du tout comme ça [dans cet album]. On a du mal avec le côté démonstratif du métal ou avec le côté « tuff guy » viriliste du harcore. De plus dans ces styles-là, les voix sont devant, alors que nous c’est très instrumental. […] La « com » a, elle, besoin de nous définir en trois mots.
Au-delà des termes, Ingrina c’est quoi ?
Antonin : C’est le fait de se positionner dans des brèches, de ne pas rejoindre des courants déjà établis. C’est aussi politique. Se débrouiller, faire un maximum de choses soi-même, ne pas reproduire les clichés des rock stars. Un côté éthique […]. Ingrina c’est une espèce de gros éléphant dans un magasin de porcelaine.
Tu entends quoi par « pas reproduire les clichés des rock stars » ?
Antonin : C’est une image un peu mystique qui n’a plus lieu d’être. On est des mecs normaux qui font des « pains » sur leurs concerts. On n’a pas de maquillage.
Gojira aussi ils mettent en avant la simplicité. Donc finalement vous êtes les rock stars de notre époque ?
Nico : (rire) Si on prend la grille actuelle, tel que Gojira l’impose, c’est-à-dire : faire des gros « festoches » avec des centaines de milliers de personnes devant, sur des scènes de dingue, avoir des « Tours bus » de ouf et prendre au moins dix-mille balles sur chaque concert, c’est sûr, à l’intérieur de ça, on est des loosers. Mais si on prend une autre grille, où les critères seraient : produire une musique qui est la plus proche de ce que l’on ressent dans notre vie au quotidien, dans nos relations, dans la politique, […]. Une musique la plus proche possible de nos tentatives de formes de vie et qui nous permette de voyager. Après des heures de répète dans un local humide en Corrèze, l’idée c’est de pouvoir l’emmener ailleurs […]. Sortir de ces critères-là [nda : ceux de Gojira] pour se retrouver en Allemagne, en République Tchèque, en Russie avec une quarantaine de personnes qui partagent les mêmes formes de vie. Ça crée une connivence autant esthétique que politique et ça fait un truc puissant. Quand ces quarante-là sont en train de sauter au fin fond d’un squat en Russie, il se passe un truc que, nous, on recherche vraiment. C’est aussi ça Ingrina : sentir une transe commune dans plein de lieux dans le monde, et passer des frontières autant nationales qu’esthétiques ou mentales.
Revenons à l’album : Etter Lys ça veut dire « lumière » en Norvégien, alors il y a quoi après la lumière ?
Nico : On ne sait pas. On est toujours en quête de lumière et c’est peut-être aussi ça le problème. Qu’est-ce qu’il y a derrière une société lumineuse, flamboyante ? Ce que l’on retrouve souvent dans le « post rock », des notes lumineuses, un environnement lumineux, des délivrances en permanence. Ça c’est pour le côté esthétique, mais on est aussi dans une société très spectaculaire, pleine de lumière. Qu’est-ce qu’il y a derrière le rideau ? […]
Antonin : Ça rejoint nos paroles […]. C’est un peu une métaphore sur le chaos, sur le monde dans lequel on vit […]. Enfin on ressent ce truc… On n’a pas tous participé aux paroles, le nom par contre a été choisi ensemble, il faisait sens pour tout le monde. C’est pas juste un truc esthétique.
Deux batteries, trois guitares, une basse, c’est pour faire le plus de bruit possible ?
Nico : […] À l’époque de LD Kharst, notre ancien groupe, Adrien s’est pété un tendon de la main. Il ne pouvait jouer que d’une main. Notre bassiste est passé sur une deuxième batterie pour compléter. […] On a aimé l’expérience et on s’est dit : pourquoi ne pas mettre dedans tous ceux qui avaient envie de faire un groupe ensemble… ça a vite fait du monde. C’est un truc plus massif mais pas forcément plus bruyant. C’est souvent moins intense, c’est dur d’y trouver de l’énergie, c’est un pachyderme mais c’est intéressant comme boulot. […] Ce n’est pas tant en terme de niveaux qu’en terme de son dans l’espace.
Antonin : Et au fond on aime bien la démesure. Ça correspond à ce que l’on écoute : assez lourd, épique, qui prend de la place. Dans ce style-là, c’est un peu un concours de volume. On essaye de ne pas trop entrer dedans mais je crois quand même qu’on a gagné le concours (rire). […]
Vous faites comment en tournée ? Il faut le déplacer ce matériel.
Antonin : Le premier concert, c’est l’épreuve. Tu te demandes comment ça va se passer. On n’a jamais eu pire en terme de taille mais on est obligé de s’adapter […]. Tu joues tout le concert avec les cymbales dans le ventre. On arrive toujours à se débrouiller pour vivre la musique intensément sans trop se soucier de la contrainte matériel. Elle fait partie de l’identité du groupe. […]
La suite d’Ingrina c’est quoi ?
Antonin : On a déjà commencé à composer pour le prochain album, ça nous tient éveillés. […] On ne sait pas comment ça va se passer, si ce sera une histoire avec un texte qui la soutient… On ne sait pas encore où l’on va.
Nico : Chez nous le process de composition est lent, tatillon. C’est pas méthodique et à six, parfois il manque du monde. On perd nos enregistrements… C’est le bordel. Mais on sait que la compo, globalement, prend un aspect final au moment de l’enregistrement. […]
Antonin : […] Dans nos projets, on aimerait bien jouer au Japon. On aimerait également faire un ciné-concert avec un film fait spécialement pour l’occasion. Et des tournées dans le monde entier […].
Vous pouvez retrouver leurs clips et plein d’autres choses sur le site du collectif Medication Time, dont nous parlerons une prochaine fois.
Ici : http://medicationtime.org/ingrina/
Batterie : Raphaël et Adrien
Guitares : Nico, Florian et Antonin
Basse : Steph
Voix : un peu tout le monde
La superbe pochette a été réalisée par Mamie loup
Prochaines dates
Le 2/11 à Périgueux (@Sans Réserve)
Du 15 au 25/11 en tournée européenne
Le 1/12 à Niort (@Camji)
Le 14/12 à Bordeaux (@Void)