« Et mes fesses ! » Tout un programme…
De la destruction des services publics et de la désertification de nos campagnes : avec l’option tout numérique.
La lutte des fonctionnaires des impôts a commencé en Corrèze il y a un an, avec la mobilisation contre le projet de suppression des antennes des centres des finances publiques dans les communes. Il y en a vingt-deux actuellement dans le département.
L’inquiétude est née, d’après les fonctionnaires corréziens syndiqués que j’ai rencontrés, « à la réception en décembre 2018 d’un document confidentiel sur les ambitions secrètes de notre direction générale. Transmis secrètement par un haut fonctionnaire, il était intitulé la géographie revisitée. De vingt-deux trésoreries, seules cinq subsistaient, un seul centre des impôts des entreprises au lieu de trois, un seul service de la publicité foncière – anciennement hypothèques – au lieu de deux. Nous sommes intervenus auprès des neuf conseils communautaires du département, le conseil départemental, les parlementaires, les présidents des associations de maires… Durant l’été nous avons contacté une à une les deux-cent-quatre-vingts mairies du département et obtenu le vote d’une motion de soutien pour 70 % d’entre elles. Une pétition circule et approche des cinq milles signatures sans que nous nous en soyons trop occupés ».
L’idée de Macron (pour endiguer la soi-disant crise des gilets jaunes), c’est qu’une fois que les départements signent l’accord – issu de la loi Dussopt1 – on ferme ces centres qu’on remplace par une Maison France service (MFS, lisez l’acronyme à voix haute pour comprendre le titre)2. Il s’agit de « construire un guichet unique, avec des agents polyvalents, capables de répondre aux besoins de nos concitoyens dans leurs démarches administratives », dixit édouard Philippe3. C’est-à-dire un point toutes administrations où superman himself, ou son homologue féminine, sont aux manettes des deux ou trois ordinateurs présents dans des box-à-sauvegarder-la-confidentialité (à défaut d’avoir du personnel assermenté comme le sont les actuels salariés des finances publiques). Il devra seul renseigner les administrés sur tout : caisse d’allocations familiales, services du ministère de l’Intérieur, de la Justice, du Travail, des Finances publiques, caisse nationale d’assurance vieillesse, d’assurance maladie, la mutualité sociale agricole, Pôle emploi et La Poste : tout, vous dis-je. « Deux agents de la sous-préfecture ont été détachés et formés par les neuf opérateurs4 », on m’a parlé d’une grosse demi-journée de formation par opérateur. L’État ne s’est d’ailleurs pas arrêté en si bon chemin car en plus de cette dizaine de services publics, les MFS pourront voir « leur offre enrichie par des opérateurs privés ». La SNCF (c’est pas public la SNCF ? Plus vraiment, elle est devenue une société nationale à capitaux publics, l’étape avant la privatisation) ou des banques pourraient ainsi devenir des partenaires et s’installer dans ces espaces.
Alors, vu que c’est impossible d’offrir en un seul homme toutes les réponses sur tous les sujets administratifs, on rebondit sur le deuxième point qui met tout le monde d’accord, la cerise sur le gâteau : ces Maison France service vont permettre d’endiguer la fracture numérique. Pas con. C’est donc ce nouveau réseau de proximité qui va en lieu et place remplacer nos services publics.
Le personnel qui manifestait un matin de fin janvier devant le centre de Tulle s’inquiète de voir disparaître son travail, la qualité du service rendu, des informations et de l’aide donnée pour tout ce qui concerne les finances. « Nous sommes environ trois-cent-quatre-vingts personnes dans le département. Au second trimestre 2019, environ quatre-vingts emplois étaient menacés jusqu’à ce qu’en octobre notre directeur revoie sa copie de suppression de services à la baisse mais on peut encore tabler sur cinquante suppressions d’emplois. Les collègues seront reclassés normalement dans d’autres services DGFIP du département, parfois à des kilomètres de leur lieu de résidence… Pour les plus récalcitrants, depuis le 28 décembre dernier, l’administration pourra, si elle le souhaite, proposer une rupture conventionnelle comme dans le privé. »
J’avais déjà rencontré l’un d’eux sur un rond-point gilets jaunes, il m’avait raconté qu’il devait de plus en plus répondre aux usagers de se débrouiller seuls sur internet pour leurs démarches tout en leur chantant le refrain du « Le monde évolue » ; un jour un vieux monsieur lui a répondu : « Oui d’accord, le monde évolue, mais moi, je suis toujours vivant ! »
Professionnellement aussi, ils sont sur la sellette : pour chaque poste supprimé il y aura trois propositions de reclassement (mais avec la nouvelle région, aucune garantie que ce soit dans le département) avant la rupture pure et simple (des fonctionnaires ! ceux dont l’État veut se débarrasser) en cas de refus. « Avant c’était un remplacement pour trois départs à la retraite, maintenant, par des tours de passe-passe, on supprime purement et simplement. Personne n’est là, non plus, pour compenser les arrêts maladie longue durée. Il y a également des postes vacants non pourvus par l’administration centrale, ce qui provoque encore plus de tension dans les services. »
Les chefs de service d’ailleurs ne comprennent pas le problème, eux qui pour l’avancement de leur carrière sont amenés à se déplacer, tout ça ne leur paraît pas si grave…
Les pas-chefs, eux, sont en lutte pour tenter de récupérer ce qui peut l’être : « Depuis un an nos journées de mobilisation contre le Nouveau Réseau de proximité (NRP) sont toujours suivies, entre 20 et 70 % de grévistes. […] La majorité des collègues est très concernée mais, avec un mouvement qui dure, il y a parfois de la lassitude. La dernière grosse journée, en janvier, a mobilisé 39 % du personnel. Un noyau dur de syndicalistes met tout en œuvre pour continuer la lutte et motiver les collègues. On a sauvé quelques services, mais d’autres sont condamnés : les fermetures de Seilhac et Corrèze au 31 décembre prochain seront annoncées après les élections. La stratégie du directeur est d’attendre que les municipales aient eu lieu pour mettre en place le nouveau réseau, misant sur l’élection de nouveaux maires moins au fait de l’utilité d’une trésorerie. Pour le clin d’œil, notre ancien directeur national, Bruno Parent, est candidat LREM à Paris. »
1 – « Ce projet de loi de transformation de la fonction publique concerne les 5,5 millions d’agents dans les trois versants : état, territoriale et hospitalière. Il vise à moderniser le statut de fonctionnaire et l’adapter aux attentes de la société. Cela passe notamment par l’élargissement du recours aux contractuels (déjà au nombre de un million) qui doit rendre l’administration « plus attractive et plus réactive », mais aussi par des mobilités facilitées, un dispositif de rupture conventionnelle, un contrat de projet sur le modèle du privé ou encore un dialogue social simplifié avec une refonte des instances. […] », tiré des lesechos.fr, 26 août 2019. Le projet de loi a été adopté en juillet 2019, et doit entrer en vigueur en ce moment…
2 et 3 – Ça vous dit déjà quelque chose ? Mille-huit-cents MFS doivent être ouvertes d’ici 2022 (budget : 230 millions d’euros) mais les Maisons de service au public poursuivent d’ores et déjà cet objectif depuis l’an 2000 et près de mille-sept-cents d’entre elles étaient ouvertes ou en cours d’ouverture lors de la création des MFS. Certaines maisons de service au public deviendront des MFS, la marche n’est donc pas si grande pour atteindre l’objectif des deux-mille prévues à la fin du quinquennat. Poudre aux yeux ?
4 – Pour l’ouverture de la MFS de Nogent.