DES ENFANTS ÉTRANGERS isolés en corrèze
Focus sur ces jeunes arrivés seuls de pays lointains et qu’on appelle les Mineurs Non Accompagnés (MNA). Tout commence pour nous par la diffusion d’un courriel du Réseau Éducation Sans Frontière (RESF) début octobre. Il fait état de la situation urgente de deux jeunes migrants, jusqu’alors pris en charge par l’Aide Sociale à L’Enfance (ASE), et qui s’étaient retrouvés la veille à la rue.
Depuis quinze ans, l’arrivée d’un flot de MNA sur le territoire a apporté une nouvelle dimension à la protection de l’enfance (voir encadré).
Jusqu’en 2015, la Corrèze était peu concernée, les flux se concentrant plutôt sur les métropoles et les départements frontaliers.
En 2014, on dénombrait vingt arrivées. Cette année, soixante-sept MNA ont été pris en charge entre janvier et septembre. Ils sont soit confiés par d’autres départements, soit ils se sont présentés spontanément en Corrèze.
Comment ça fonctionne en Corrèze ?
Si des jeunes, reconnus mineurs, arrivent d’un autre département, ils sont pris en charge par l’ASE dans les mêmes conditions que n’importe quel autre enfant confié au service.
S’ils se présentent spontanément, ils sont d’abord « mis à l’abri ». Jusqu’à cet automne, ils étaient placés soit au Centre Départemental de l’Enfance soit en familles d’accueil.
Face à la pénurie de place, ils sont maintenant logés dans des hôtels… Cette période de mise à l’abri est censée durer cinq jours, mais les délais se prolongent largement.
L’ASE mène un entretien avec le MNA pour recueillir des indices sur le parcours de vie, le parcours migratoire et le projet de vie en France.
Un rapport est adressé au Procureur de la République, indiquant que tout porte à croire qu’il est bien mineur ou bien que les éléments recueillis ne permettent pas de tirer de conclusion.
S’il a des papiers, l’ASE, avec son accord, les remet au Procureur. Les services préfectoraux sont sollicités en tant qu’experts en faux documents.
S’ils sont considérés comme faux, ils ne lui seront pas restitués. Enfin, en Corrèze, tous les MNA sont soumis aux tests osseux, effectués à Limoges.
À l’issue de cette procédure, si la minorité n’est pas contestée, le mineur entre dans les effectifs des enfants placés à l’ASE ; si cette minorité est contestée par le Procureur, il ne peut plus être pris en charge par le service. C’est le cas de la grande majorité d’entre eux.
L’ASE convoque alors le jeune afin de l’informer de la décision du Procureur et de ses conséquences. Toutefois, jusqu’ici, il n’y avait pas de mise à la rue « sèche ». On lui proposait de prendre un train s’il le souhaitait, ou alors il restait pris en charge le temps qu’une solution d’accueil via le Samu social (le 115) soit mise en place. La difficulté réside précisément là. Rien n’est prévu, pas de coordination avec les services de l’État et un système saturé : parfois l’ASE reste sans réponse du 115 durant des semaines. Jusque-là, les jeunes restaient accueillis, ou partaient d’eux-mêmes. Mais dernièrement, les services ont reçu pour instruction de leur hiérarchie de ne plus accorder qu’un délai de quarante-huit heures pour qu’ils quittent effectivement le service.
Ils deviennent désormais « sans papier », en situation irrégulière sur le territoire, mais sans arrêté de reconduite à la frontière.
Un gros couac
Au mois d’octobre, deux « gamins » se sont retrouvés dans cette situation.
L’un, appelons-le Ibrahima, est arrivé en France via la Lybie et l’Italie. Il arrivait de Côte d’Ivoire, et a mis plusieurs mois pour arriver en France (voir « témoignage »
page suivante). Il fait partie de ces miraculés, qui survivent à la prison en Lybie et à la traversée de la Méditerranée. Débarqué par hasard en juillet 2017 il a été placé dans une famille d’accueil en Haute-Corrèze. En septembre, il a démarré sa scolarité en classe d’accueil dans un collège corrézien. Interne la semaine, il retournait dans sa famille le week-end, et était inscrit au club de football local.
L’autre, disons qu’il s’appelle Issa, vient du Mali. Après un mois de voyage, il est arrivé en Corrèze début septembre, via le Maroc et l’Espagne. Lui aussi a été placé en famille d’accueil, sur le bassin de Tulle. Celle-ci explique qu’Issa était tellement fatigué à son arrivée, qu’il a dormi trois jours durant.
Au mois d’octobre, pour l’un comme pour l’autre, le couperet tombe : le Procureur conteste leurs minorités. Issa est reçu par une personne de l’ASE qui l’informe de cette décision judiciaire.
On lui dit qu’il sera contacté bientôt, dès lors qu’une place d’hébergement d’urgence lui aura été trouvée. La famille d’accueil, qui n’assistait pas à l’entretien, veut s’assurer qu’Issa a bien compris ce qui lui avait été dit. Il confirme.
Pourtant, une fois dans la voiture, elle se rend compte que ce n’est pas le cas. Il est paniqué quand il comprend qu’il ne pourra pas rester dans cette famille.
D’autant qu’Issa, comme cette famille, affirment qu’il n’a jamais fait l’objet d’un test osseux.
Quelques jours plus tard, Issa est à nouveau convoqué et là, chacun sait qu’il va devoir partir.
Dans le couloir, un autre jeune, accompagné de sa famille d’accueil, attend. C’est Ibrahima.
Les deux familles sont d’abord reçues seules, par la chef de service de l’ASE.
Face à leurs inquiétudes pour l’avenir des gamins, elle leur assure que des places d’hébergement ont été trouvées sur Tulle et que le service va les y conduire.
Un peu rassurées, on les invite à rentrer chez elles. Puis les jeunes sont reçus. Là, on leur donne le numéro du samu social et on leur demande de partir…
Issa et Ibrahima, une fois dehors, appellent le 115 : il n’y a pas de place.
Ils descendent jusqu’à la gare et y interpellent un ivoirien qui les héberge deux jours. Dans l’intermède, les familles d’accueil prennent des nouvelles via le téléphone d’Ibrahima et comprennent leur situation. L’une d’elle contacte RESF.
Elle ne peut poursuivre l’accueil d’Issa à titre personnel sans risquer de perdre son emploi. Mais le mensonge de sa chef de service ne passe pas.
Depuis, les jeunes sont accueillis par des familles « bénévoles », sur le secteur de Tulle.
Avec l’aide de RESF et d’une des accueillantes, Ibrahima a pu poursuivre sa scolarisation.
Quant à Issa, une solution de scolarisation en CAP a été trouvée, avec un internat. Ils redescendent les week-end et vacances dans les familles.
RESF a sollicité une entrevue avec Pascal Coste, président du Conseil Départemental, au sujet de cette affaire. Au moment où cet article est rédigé, rien ne se passe de ce côté-ci.
Comment une responsable de service peut-elle agir de cette façon ? On sait déjà combien il est difficile pour les éducateurs des foyers comme pour les familles d’accueil qui se sont investis auprès de ces MNA durant des semaines, parfois des mois, de les voir se retrouver à la case départ, sans solution.
Ajouter autant de brusquerie et de mensonges et c’est la confiance à l’intérieur du système qui vacille.
Sans compter que cela éclabousse tout le service et balaie tout ce que l’ASE met en place depuis des années dans cette complexité de la prise en charge des MNA.
MNA : zéro tracas, zéro blabla ?
Cette formule ironique est sortie tout droit de la bouche de Pascal Coste. Lancée comme une boutade lors des débats autour du nouveau schéma de protection de l’enfance.
Pour les tracas, c’est vrai qu’au sein des structures ou familles où ils sont accueillis, les MNA ne posent aucun problème. Ils sont même clairement considérés comme des « éléments stabilisateurs ».
Mais pour le blabla il serait peut-être temps que les présidents de Départements secouent les services de l’État pour que des solutions concrètes soient trouvées. Puisqu’aucun dispositif n’existe, la seule solution pour ces jeunes est de tenter leur chance auprès de l’ASE.
Certains sont mineurs, d’autres jeunes majeurs, mais tous ont besoin d’aide. Ils ont traversé des épreuves qu’on ne peut même pas imaginer.
Ils sont animés par la même envie de réussir, ici, en France, à avoir une vie heureuse.
Bien sur, il est indispensable que des précautions soient prises pour que des adultes ne se retrouvent pas hébergés dans des établissements ou des familles qui accueillent des enfants qui étaient en danger dans leur propre famille.
En cas de problème, là aussi, on saura montrer du doigt l’ASE pour son manque de vigilance.
Est-on prêt à continuer à vivre dans un Pays où on laisse à la rue des gamins qui ont survécu à de tels périples ?
Mineurs non accompagnés quèsaco ?
Ce sont des jeunes de moins de dix-huit ans « privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ».
À ce titre, ils relèvent de la protection de l’enfance.
La notion de « se présentant comme » est extrêmement importante dans le dispositif. La plupart de ceux qui arrivent dit avoir seize ans. Il s’agit majoritairement de garçons.
La loi prévoit d’abord la mise à l’abri de l’enfant et son recueil par les services de l’ASE, puis des investigations pour vérifier que ces enfants sont bien mineurs.
Une circulaire de janvier 2016 précise les choses : après une évaluation sociale et en cas de doute, une vérification des papiers d’identité est opérée. Si les papiers sont considérés comme faux, on considère la minorité comme douteuse – l’intérêt supérieur de l’enfant prime : cela ne signifie pas qu’il soit majeur.
Pour établir l’âge de l’enfant, des investigations médico-légales sont effectuées. On appelle cela « l’âge osseux ».Très controversées, ces radiographies du squelette permettent d’évaluer l’âge… à quelques années près. La médecine puis la justice sont alors chargées d’interpréter ces résultats pour en déduire la minorité ou non de ces migrants. Au cours de cette procédure, l’État prend en charge cinq jours de mise à l’abri, et les frais des tests osseux. Les autres frais incombent aux départements.
Dans un souci de solidarité entre les territoires et de prise en charge égalitaire, la loi du 14 mars 2016 organise la répartition des enfants en France et définit les conditions de prise en charge, à tous les niveaux : Aide Sociale à l’Enfance, Justice, Éducation Nationale…
Parallèlement à cela, le nombre d’arrivées a augmenté très rapidement. Si 13 000 jeunes sont arrivés en France en 2016, on estime qu’ils seront 25 000 d’ici la fin de 2017. Ces chiffres sont à prendre avec précaution.En effet, nombre de ces gamins dont la minorité a été contestée dans un département se présente ensuite dans un autre département, et éventuellement dans un autre, etc.
par Lapin Compris