Dressons des monuments à la vie
Les textes du bulletin municipal en quadrichromie de Tulle, TULLE mag, s’élancent parfois bien loin des informations pratiques pour lesquelles on l’a sans doute ouvert. C’est ainsi qu’à la faveur d’un centenaire, la municipalité nous expose dans son numéro de Noël, sous le titre « Le monument aux morts », sa vision de notre République.
Qu’on en juge… L’avant-dernier paragraphe nous explique que « ce monument [est]composé d’une pyramide et d’une statue de soldat, allégorie de la Patrie et de la République. » J’avoue avoir, jusqu’à présent, ignoré qu’une statue de soldat pouvait être une « allégorie de la Patrie», sauf peut-être pour des êtres capables de réduire l’idée de patrie à celle de victoires sur des ennemis. À l’instar de l’auteur d’un article, paru le 8 décembre 1924 dans Le Corrézien, décrivant ainsi l’ouvrage : une «statue représentant la France, casquée et armée, à l’attitude calme et noble, symbole de la Paix dans le Droit ». Un personnage casqué et armé symbole de paix ? Bon, des frontières ont été inventées, ce sont donc elles qui dessinent les patries, mais non la vie des femmes et des hommes qui les habitent.
La pyramide nous fournit la clé de cette incongruité : une hiérarchisation verticale chère à toute domination, plutôt qu’une organisation républicaine se voulant démocratique. Presque tous les monuments dits aux morts ne sont que des monuments à la victoire, c’est-à-dire à la guerre et au pouvoir militaire de l’État. En France, à ma connaissance, les exceptions se comptent sur les doigts d’une main. C’est la guerre qui domine la ville de Tulle (ainsi que sa municipalité, du moins pour l’heure).
La vie (notion incluant toutes les vies) a besoin que nous habitions en paix le territoire. Il s’agit d’une nécessité, ce doit être un impératif. Si, au lieu d’honorer nos grandes tueries, nous avions au contraire – depuis cent ans et davantage – célébré la paix, accomplissant un devoir de prévention2, alors nous aurions été en mesure de prendre rapidement conscience de là où le fonctionnement économique capitaliste – ne visant qu’accumulation de richesses – allait nous conduire : à des guerres innombrables, ainsi qu’à des désastres climatiques et écologiques.
Dressons des monuments à la paix. Autrement dit, à la vie.
- Le devoir de mémoire est, de prime abord, fort sympathique. Sauf que, tourné ainsi vers des figures du passé mariant toujours les combats armés avec la gloire, il vrille facilement en adoration des moments les plus nauséabonds de notre histoire. En adoration, donc en aveuglement.
Par FRANÇOIS CHEVALIER