Amour égoïste et amour altruiste

L’amour dévoilerait-il ce que nous sommes ? Aime-t-on pour nous ou pour l’autre ? L’amour est-il égoïste ou altruiste ? Notre éthique nous invite, généralement, à répondre que l’amour est avant tout un don à l’autre. L’affection, que nous portons à ceux que nous aimons, ne peut être égoïste. Les actions que nous réalisons par bienveillance envers nos congénères ne peuvent être qu’altruistes. Ce don de soi, que l’on nomme charité chez les chrétiens, ou agapè chez les Grecs, ne suffit pourtant pas à définir notre rapport à l’amour. Notre nature, animale et impulsive, finit par nous rattraper et elle nous somme de voir en l’amour la passion, l’embrasement. L’affection devient possession et l’action, obligation. L’amour est, alors, un feu ardent qui nous anime, qui nous met en mouvement. Freud nommait cela notre pulsion de vie. C’est l’expression de notre être, notre puissance créatrice. Enfants d’Éros, nous ne pouvons vivre sans passion, mais nous pouvons, aussi, mourir par passion.

Nous voilà piégés dans ce rapport antinomique de l’amour, entre l’amour qui donne (agapé) et l’amour qui possède (éros). Cette ambivalence, en notre être, nous l’éprouvons quotidiennement sans y penser. Que l’on protège des idées ou bien ses proches, est-ce un amour tourné vers l’autre ou vers soi-même ? Défendre, c’est exprimer une subjectivité, qui est, à la fois, égoïque et bienfaisante. Un sujet qui perçoit les choses est à la fois tourné vers le monde, puisqu’il l’observe, et, en même temps, tourné vers lui-même puisqu’il ne peut comprendre ce monde qu’en fonction de son expérience préalable, de son propre référentiel. Trop tourné vers le monde, l’individu en disparait. Trop tourné vers lui-même, l’individu devient aveugle au monde. Alors, comment trouver l’équilibre de cet amour ?

Platon nous offre une piste de réflexion. Il nous dit qu’il y a deux types d’amour, qu’il faut préserver : « l’éros vulgaire, qu’il faut offrir avec prudence[…], de manière à en cueillir le plaisir sans provoquer aucun dérèglement »1, et l’éros céleste, passerelle entre le monde divin et le monde des idées. Le premier représente notre rapport à nous-même, lequel nous demande de la minutie pour éviter toute démesure. Le second représente notre rapport au monde, synonyme d’observation et d’harmonie, vis-à-vis duquel nous sommes trop souvent aveugles. L’amour pourrait ainsi se situer dans cette communion entre le vulgaire et le céleste, entre notre être individuel et l’être universel, entre l’éros tourné vers soi et l’agapè tourné vers le monde.
Si nous suivons cette pensée de Platon, nous pouvons y voir une invitation à l’introspection. L’amour est, alors, bien plus complexe qu’il n’y parait et révèle une part de nous-même, à la fois don et possession. Toutefois, le philosophe grec nous avertit que pour découvrir cette nature de notre être, il nous est nécessaire d’y porter une minutieuse attention.

  1. Platon, Le banquet, GF Flammarion, 6e édition, 2016, p. 111.

Par FLAVIEN LANGE